Le Prosekar est un vin blanc issu de cépages originaires du Karst : la vitovska, la malvasia istriana et le glera. Le nom du vin Prosekar signifie littéralement ‘de Prosek’, Prosek étant la version slovène du toponyme Prosecco.
“La Vitovska est un croisement spontané entre malvasia istriana et glera.“
Où sommes-nous ?
Nous sommes dans le Frioul, sur la côte qui s’étend entre le plateau du Karst et le château de Miramare, suspendue aux coteaux qui se jettent littéralement dans l’Adriatique.
Historiquement, lorsque le climat était bien plus rude qu’il ne l’est aujourd’hui, cette bande de terre était le seul endroit permettant au raisin d’atteindre la pleine maturation : des terrasses héroïquement aménagées et soutenues par des murets de pierres sèches sur des pentes de près de 30% d’inclination, offrant une exposition constante et une protection contre le vent froid de la Bora -un vent qui descend des montagnes karstiques le long du golfe de Trieste et des côtes de l’Adriatique-.
Nous sommes sur le territoire des villages de Prosecco, Contovella et Santa Croce, près de Trieste, à quelques kilomètres de la frontière slovène. Ici, la vitoska, la malvasia et le glera ont participé pendant des centaines d’années à rayonnement économique et culturel de la ville voisine de Trieste.
Un bref contexte historique
Le vignoble de Prosecho est connu depuis le 13ème s. et le vin en provenant était très apprécié : il faisait partie notamment des hommages annuels que la ville de Trieste envoyait à la République de Venise. Le vin blanc moelleux obtenu de la surmaturation des grappes, était appelé “Ribuolla” ou “Raibiola”. Bien que le nom soit similaire à celui de la moderne ribolla, un autre cépage du Frioul, il est probable que le vin ait été élaboré à partir de plusieurs cépages blancs implantés sur le même vignoble.
Tout au long du 14ème s., la notoriété du vignoble et de son vin ne cesse de croître. Lorsqu’en 1382, Trieste passe aux mains autrichiennes, le vignoble est l’objet de nouvelles mesures administratives pour en protéger le rendement, comme l’interdiction d’introduire d’autres cépages pour éviter tous risques de contamination, et le toponyme Prosecho/Prosecco se slovénise. Les noms du vignoble de Prossek et de son vin le Prosekar font leur apparition dans des textes administratifs ou culturels provenant aussi bien du Frioul que de l’actuelle Slovène.
Au 16ème s., le vignoble de Prosecco devient une véritable appellation : la zone de production est délimitée et l’usage du nom réservé au vin qui y est produit.
Après une période de succès et d’export, le 18ème s. voit le déclin du vignoble de Prosecco qui cède le pas à l’urbanisation croissante de Trieste et le nom Prosecco émigre vers les collines de l’actuelle Doc et la production du Karst se réduit considérablement. On sait cependant que la nature du vin évolue cédant à la tendance des vins mousseux, incontournable la fin du 19ème. L’excellent ouvrage de Fulvio Colombo sur le vin de Trieste regorge d’exemples.
La plupart des vignobles ont par la suite été abandonnés, après la Seconde Guerre mondiale, leur exploitation étant devenue trop difficile et peu rentable, réduisant considérablement une production devenue marginale.
Le Village de Prosecco, la clé de voute de la DOC
Plus récemment, le village de Prosecco est la pièce maîtresse ayant permis de revendiquer le nom territorial indispensable à l’appellation Prosecco Doc lors de son extension aux neuf provinces de la Vénétie et du Frioul en 2009.
Ce fait est décisif.
La zone d’appellation n’aurait pas pu être étendue si le village n’avait pas été inclus. Parce qu’il n’y avait tout simplement pas les critères nécessaires pour pouvoir revendiquer la territorialité d’une zone de production aussi grande et hétérogène : la crête du Karst, le Karst, la plaine du Frioul, la Vénétie.
Je reprends souvent l’exemple de l’appellation champagne : Champagne est une appellation mais aussi une marque extrêmement rentable et porteuse. Imaginons qu’elle veuille étendre sa production à un territoire plus vaste : les nouveaux vignobles bénéficieraient de la notoriété de la marque Champagne, d’un marché national et international déjà acquis, sans parler d’un chiffre d’affaires alléchant. Mais sans pouvoir justifier que les nouveaux vignobles font effectivement partie de la zone de production appelée Champagne historiquement et culturellement parlant, l’opération n’est pas possible.
Le village Prosecco devait stratégiquement faire partie de l’appellation Prosecco pour que cette dernière puisse utiliser légitimement le nom Prosecco.
L’extension de la zone fut longuement discutée entre les deux régions, les appellations respectives et les producteurs. Les vignerons du Karst négocièrent bien sûr l’usage du nom de leur village : nous sommes en train de parler d’un nom emblématique de leur région. Un accord fut trouvé, scellé par la venue à Prosecco du ministre de l’agriculture de l’époque Luca Zaia. Une photo, Zaia au milieu des anciens vignobles en friches en train de planter un sarment de glera, fut largement médiatisée. Le prix de la transaction ? Des aides pour relancer les anciens vignobles de Prosecco et la tutelle du Prosekar au sein de l’appellation.
Les choses ne se déroulèrent cependant pas comme prévu et devant une situation inchangée après plus de 10 ans, le sentiment de frustration est palpable. Beaucoup d’amertume envers la Doc qui entre temps s’est enrichie sans que le village frioulan et le Karst n’en bénéficient.
Le Prosekar n’appartient à ce jour à aucune appellation, la typologie est dictée par la tradition préservée oralement et transmise dans les familles. L’association Prosekar fondée dans le village de Prosecco en 2017 travaille pour donner soutien et voix aux jeunes vignerons qui ont décidé de reprendre les vignobles abandonnés du Karst. Ils sont jeunes, diplômés et ont pour la plupart entrepris de reprendre l’activité agricole après avoir quitté la vie citadine. Ils sont attachés à leur territoire, à leurs vignobles et désireux de redonner au Karst un rôle sur la scène du tourisme œnologique et gastronomique italien.
Les vignobles déjà remis en activité sont à couper le souffle : les vignes sont organisées sur des terrasses, retenues à flanc de coteaux par des murets en pierre sèche, surplombant l’Adriatique, la mer en contrebas. La faible production, 90q/h, va nécessairement de pair et on ne peut parler ici que de viticulture héroïque.
Sur la question d’un éventuel rattachement à la Doc Carso frioulane, plutôt qu’à la Doc Prosecco, les avis sont partagés. Le Prosekar est intimement lié au territoire, dont les volumes de production le destinent à être un vin de connaisseur. La Doc Carso serait la plus en mesure de promouvoir une des pépites de son territoire, mais le nom Prosekar ne peut légalement exister en dehors de la Doc Prosecco. En contrepartie, une réalité telle que le Prosekar pourrait se retrouver phagocytée par les vastes productions d’une Doc internationalement reconnue.
Le vin aujourd’hui
Le Prosekar est un vin blanc sec ou pétillant, issu de la vinification de 3 cépages Vitovska, Malvoisie et Glera.
Lorsqu’il pétille, c’est un méthode ancestrale, cousin du Colfondo, la typologie sur lies produite depuis toujours entre Valdobbiadene et Conegliano. Pour les Italiens frioulans, c’est leur Prosecco, les bulles simples et bohêmes de leurs vacances.