Ep.18 | Sulcis, Sardegna Coast to coast 3

Sardegna Coast to Coast 3

 

Le sulcis.

 

Le mois d’août semble maintenant bien loin en ce jeudi 22 septembre, dernier jour de la saison estivale.

Je vous avais laissé au milieu du vignoble de Simone Sedilesu à Mamoiada, en Barbagia.

Vous vous rappelez, mon écart de près de 300km sur mon programme pour aller à sa rencontre et essayer de cueillir l’essence d’une zone qui à mon avis est à surveiller.  

J’ai eu entre temps l’occasion d’ouvrir quelques bouteilles de Simone et c’est à chaque fois un petit voyage dans le temps et dans l’espace à l’intérieur du verre.

Je ne sais pas vous, mais la dégustation d’une bouteille d’un producteur que j’ai rencontré, d’un vignoble que j’ai pu approcher est toujours plus vibrante, non ? Plus satisfaisante. Mais je ne m’attarde pas plus, et comme je vous l’avais annoncé, un retour à Mamoiada est prévu très prochainement au cours de cette série Sardegna Coast to Coast.

Après cette parenthèse imprévue chez Simone mais ô combien appréciée, bienvenue dans le Sulcis !

 

Quelques mots rapides, pour ceux qui nous auraient rejoints en route, vous êtes à l’écoute bien évidemment de Vinoterso le podcast, mais plus particulièrement du troisième volet de la série Sardegna Coast to coast.  Après une étape introductive à Olbia, un détour improvisé en Barbagia, à Mamoiada, je vous invite maintenant à découvrir le sud-ouest de l’île.

Juste pour ceux qui prévoient de séjourner prochainement en Sardaigne, pensez à l’agritourisme, ces fermes qui offrent gite et couvert et qui sont une expérience à mon avis incontournable lorsque l’on voyage en Italie et plus particulièrement en Sardaigne. Car, dixit Simone, en Sardaigne, la cuisine et la gastronomie familiales atteignent des sommets que bien souvent les restaurants peinent à égaler. Et si vous avez un crayon sous la main, j’ai séjourné chez Sa perda Marcada, près d’Arbus, un agritourisme perdu entre chêne liège, nature sauvage, mirtes et eucalyptus, qui vit au rythme de la ferme et au son de ses animaux. La table et le vin de la maison y sont d’une bonté simple et rustique. J’y retournerai volontiers, les yeux fermés. 

Enfin, et c’est promis j’arrête de parler de vacances, si vous programmez un séjour en Sardaigne, essayez de quitter la côte pour découvrir l’intérieur des terres, qui sont à mon avis un spectacle d’une beauté toute aussi touchante. Et puisque je parle de vin, c’est aussi l’occasion de visiter, de toucher, de sentir, les zones à mon avis les plus intéressantes.

 

Mais direction le Sulcis et ses vignobles ensablés. Pour vous situer, le sulcis est la pointe Sud-ouest de la Sardaigne, séparé du reste de l’île par un massif montagneux recouvert d’une végétation riche et dense. Une forêt que j’ai traversée en venant d’Arbus et qui ne m’a pas laissée indifférente. C’est un euphémisme. On y retrouve les chênes liège que j’ai cités à plusieurs reprises pendant la traversée nord sud, mais pas seulement, chênes verts séculaires, ifs, houx, genêt… Sur les reliefs les plus accidentés la forêt laisse place au maquis et à la roche granitique. 

 

Plus au sud, le paysage s’adoucit, avec des collines couvertes de maquis ou de vignobles, des plaines cultivées. La côte n’est pas homogène non plus, falaises, plages et vignobles s’alternent, bordées de pins, de genévriers, d’arbousier ou de myrte. Et bien sûr la mer, que l’on avait presque oubliée au milieu des montagnes. 

C’est presque dommage de vous décrire tout cela sans que vous puissiez comprendre l’importance ici de la dimension olfactive, parce que le vent est chargé d’odeurs. C’est drôle d’ailleurs, quand on parle de vin, on parle d’odeurs et de parfums tout le temps dans les dégustations mais ce sont des odeurs qui finalement peuvent arriver jusqu’à vous, non ?  qui voyagent grâce au liquide qui les libère au moment venu dans le verre. Parler de l’odeur de la forêt, des collines, du maquis, en sachant qu’ils ne voyageront pas, j’avoue que c’est un peu frustrant. Cela dit, je trouve que les vins sardes ont un profil olfactif qui ressemblent énormément au paysage dont ils sont originaires. Et non ce n’est pas un fantasme de sommelier. On retrouve dans le verre l’odeur du maquis méditerranéen, des herbes aromatiques, de l’iode pour les vins dont je vous parlerai aujourd’hui.

 

Le sol du Sulcis aussi, à l’image de la végétation riche et variée, est un véritable puzzle résultat de plusieurs formations. On peut cependant distinguer deux zones, l’intérieur des terres et la côte.

Si je vous les cite, c’est parce qu’on retrouve la différence dans le verre.

Sur les collines, le sol brun est un mélange d’argile et de xxx, la vigne y est élevée en taille guyot

Sur la côte, exposée à la brise et aux vents marins chargés de sel, les vignobles s’enracinent sur un sol brun d’origine volcanique sablonneux. Les pieds dans le sable littéralement. Deux particularités à retenir : la vigne non palissée ad alberello, sans support donc, en arbuste, est la norme, et le phylloxera ici n’arrive pas, donc le carignano est franc de pied. Rassurez-vous, si vous ne savez pas ce que cela signifie, rendez-vous à la fin de l’épisode.

 

Deux mots aussi sur le climat, j’ai parlé du vent, mais j’y reviens. Le sud de la Sardaigne est balayé par les vents, notamment en été par un vent chaud, très chaud. Le Sirocco arrive de l’Afrique, c’est un vent sec à l’origine, mais en traversant la mer, il se charge d’humidité et de sel avant de venir balayer la côte et les vignobles. 

Le climat est chaud et sec en été, avec cette brise marine constante qui compense les températures très élevées et l’absence de pluie. L’automne et l’hiver sont marqués par des températures moyennes qui s’abaissent bien évidemment en altitude. Les précipitations suffisantes à l’intérieur des terres, se raréfient sur la zone côtière. 

 

 

C’est une terre de rouge principalement, Bovaleddu, Carignano, Monica, même si l’on trouve aussi des autochtones blancs comme le Nasco et le Nuragus.

 

 Le cépage emblématique ici est le Carignano et c’est celui qui m’intéresse aujourd’hui. La zone est d’ailleurs classé Doc, Carignano del sulcis doc. Rappelez-vous, pour qu’un cépage puisse être protégé, il doit être ancré à un territoire d’origine. Carignano le cépage del Sulcis le territoire. 

Le carignano, c’est un cépage rustique, pour la qualité de ses tanins et son acidité. La plante est vigoureuse, elle a donc besoin d’être accompagnée et canalisée durant sa croissance. Juste pour info, on le retrouve en Espagne Carinena, et dans le sud de la France, carignan, en Tunisie, en Algérie. C’est un cépage qui aime les terres chaudes et sèches et qui peut accumuler un potentiel tannique et alcoolique important. En Sardaigne, comme le Cannonau dont je vous ai parlé la semaine dernière, il a longtemps été cultivé pour compléter des productions d’autres régions sur le continent.  

C’est un cépage rustique, mais les vignes élevées ad alberello en taille courte et sans support, sans porte-greffe, sur les sols sablonneux du Sulcis, de l’ile de Sant’Antioco, donnent des résultats d’une élégance et d’une profondeur qu’on ne lui connait pas ailleurs, les tanins s’affinent, et son profil olfactif s’enrichit des parfums du maquis, des épices, et de l’iode. 

 

Je vous cite simplement les autres typologies sur lesquelles je ne m’attarderai pas aujourd’hui mais que prévoit la DOC Carignano del Sulcis, rosé, nouveau, mais aussi Passito.

 

Mais c’est avant tout le rouge et la mention superiore dont j’avais envie de vous parler. 

Pour la mention ‘supérieur, superiore’ les raisins proviennent exclusivement des vignobles ad alberello.

Dans les grandes lignes, c’est un vin est d’une couleur rubis intense avec des reflets grenat.

A l’olfactive, petits fruits rouges, le maquis méditerranéen, les épices plus ou moins prononcées selon le type de vieillissement choisi, le balsamique aussi, l’eucalyptus, le pin maritime, des parfums qui au vieillissement évoluent vers la torréfaction, le café, le tabac, l’encens. 

En bouche, belle structure, fraicheur et sapidité, un potentiel alcoolique très intéressant quand il est bien géré, et une persistance notevole. Sur la côte, la gustative s’enrichit d’une trame iodée et minérale très intéressante.

Et un bon, voire très bon potentiel de garde.

Vous trouverez les vins du Sulcis sans problème en ligne, sa notoriété a dépassé depuis longtemps les barrières naturelles de la Sardaigne. Notamment ceux de la Cantina sociale Santandi dont le potentiel et la qualité furent à l’origine d’une collaboration avec le célébrissime œnologue Giaccomo Tachis. 

Les prix varient et varient beaucoup. En France, en Belgique, ils vont d’une vingtaine pour les moins chers à une cinquantaine d’euros, pour les mentions supérieures. Entre 15 et 45 francs pour la Suisse. Le canada

lentisco, corbezzolo, mirto e ginepro 

lentisque, arbousier, myrte et genévrier

 

L’accompagnement le porte naturellement vers des plats plutôt carnivores. 

La tradition sarde le propose volontiers avec les Frègula con ragù di purpuzza, la fregula est un format traditionnel de pâtes sardes de semoule de blé dur, à la forme insolite de petites perles rugueuses, et la purpuzza est un ragout de viande de porc.

Ou avec du porceddu, le porcelet sarde servi à même le liège.

Plus simplement, pensez aux ragouts de saucisse, de viande de porc.

Mais si vous penchez plutôt vers le côté végétarien du spectre flexitarien, un ragout de lentilles et ou de haricots borlotti, à la cuisson lente, se défend pas mal aussi.

 

Ai-je fait le tour ? je ne crois pas. En fait pour approfondir et ancrer tout ce que je viens de vous raconter, à défaut de pouvoir venir passer quelques jours dans le Sulcis, il ne vous reste qu’à déboucher un bon Carignano del Sulcis doc. Bonne dégustation !

 

 

Franc de pied et phylloxéra ? je vous l’ai promis.  

franc de pied, qu’est-ce que ça veut dire ? cela veut dire que la vigne n’a pas besoin de porte-greffe, autrement dit d‘un pied de vigne résistant au phylloxera sur lequel a été greffé la partie de la plante qui porte les baies. Le phylloxéra est un insecte originaire d’Amérique du Nord qui vit en symbiose avec la vigne américaine. Débarqué en Europe au début du 20ème siècle, l’insecte a détruit pratiquement tous les vignobles : en s’attaquant aux racines, il favorise les infections et les champignons létales pour la plante. Une fois attaquée, la plante meurt en quelques semaines sans remède possible. La vigne américaine a quant à elle développé des défenses qui lui permette de résister. Après l’hécatombe du siècle dernier donc, les cépages européens ont été replantés après avoir été greffés sur des pieds de vigne américains compatibles. 

Les seuls vignobles qui peuvent être planté de vigne sans greffe, sont ceux situés dans un environnement naturellement hostile à l’insecte : les très hautes altitudes, les sols sablonneux. Peu de vignes donc sont aujourd’hui franc-de-pied.